Continuo imaginaire et réécriture verticalisée

L’analyse schenkérienne débute, en général, par une première réécriture simplifiant la partition. Cette réécriture a été diversement décrite comme « verticalisation », ou comme « continuo imaginaire », ou d’autres termes encore.

L’expression « continuo imaginaire » est utilisée par Schenker (Das Meisterwerk in der Musik I, p. 70) pour indiquer que l’accompagnement de Schumann pour les sonates pour violon seul de Bach « ne se range ni sous le concept d’un clavier dit obligé, ni sous celui d’un clavier d’accompagnement, au sens où l’aurait compris Bach: l’accompagnement ne se présente ni comme obligé par rapport au violon, ni ne se contente de réaliser plus ou moins librement un chiffrage de basse continue imaginaire ».

William Rothstein (« Rhythmic displacement and rhythmic normalization », Trends in Schenkerian Research, A. Cadwallader ed., New York, Schirmer, 1990, p. 94) considère néanmoins que ces accompagnements ressemblent à un continuo de ce type. Il montre comment Schumann a pris en compte des arpégiations explicites ou implicites chez Bach et comment ses accompagnements «normalisent» au moins partiellement le rythme, c’est-à-dire en résolvent certains décalages.

Allen Forte et Steven Gilbert (Introduction to Schenkerian Analysis, New York, Norton, 1982) avaient autrefois proposé un principe semblable dans ce qu’ils appelaient la « réduction rythmique », qui consistait elle aussi en une normalisation rythmique en ce qu’elle éliminait certaines notes d’ornement pour les remplacer par les valeurs de notes réelles que ces notes d’ornement avaient occupées.

Le concept de continuo imaginaire prend une importance particulière dans l’ouvrage d’Allen Cadwallader et David Gagné (Analysis of Tonal Music: A Schenkerian Approach, New York, Oxford, OUP, 3e édition, 2011, p. 66-68), qui en décrivent comme suit la réalisation pratique:

  1. « En général, la présentation en continuo peut se mouvoir librement entre trois et six voix; leur nombre dépend de combien de notes sont nécessaires pour clarifier la conduite des voix et la distinction entre les voix extérieures et intérieures.
  2. « Il faut normalement indiquer une conduite des voix «stricte»; en d’autres termes, les septièmes devraient se résoudre par mouvement conjoint [descendant], les notes sensibles ne devraient pas être doublées, les octaves et les quintes parallèles devraient être évitées, etc. Dans les textures instrumentales, des exceptions aux procédures vocales strictes — par exemple des résolutions transférées, des dissonances préparées indirectement et des intervalles augmentés — peuvent être indiqués pour préserver des caractéristiques de la conduite des voix.
  3. « En général, il faut rechercher le mouvement conjoint à la main droite (parfois avec de petits sauts). Souvent, la voix supérieure à la surface de la composition change de position avant les changements d’harmonie (provoquant des sauts). En montrant des successions d’accords verticaux, indiquez les notes de la voix supérieure qui forment le lien le plus proche à la voix supérieure de l’accord qui suit. Le respect de ce principe permettra de distinguer les voix structurelles extérieures des voix intérieures.
  4. « Utilisez les symboles de basse chiffrée pour spécifier la construction de chacun des accords. Il peut être utile de faire usage en outre de chiffres romains pour indiquer la structure harmonique sous-jacente du passage. »

Dans mes cours en Sorbonne, j’ai parlé plus souvent de réduction ou de réécriture « verticalisées », c’est-à-dire rétablissant les harmonies sous-jacentes, mais dans une structure polyphonique à plusieurs voix « réelles » (ou non) indiquant la conduite des voix.

Ces diverses descriptions visent sans doute des réécritures qui, en fin de compte, sont toutes du même type. Il est difficile de dire quels sont les avantages et les défauts de chacune d’entre elles. La première étape de l’analyse consiste certainement en une réécriture qui

  • conserve les barres de mesure et dans une certaine mesure le rythme de l’original;
  • verticalise l’harmonie, en superposant des notes qui appartiennent conceptuellement à un même accord;
  • fasse apparaître la conduite des voix en attribuant les différentes notes de ces accords à des voix séparées (identifiées par exemple par la direction des hampes de notes);
  • indique une conduite stricte des voix, c’est-à-dire qui respecte les mouvements obligés (préparations ou résolutions de septièmes ou de notes sensibles, etc., éventuellement transférées);
  • cherche à faire apparaître une ligne directrice conjointe, à la voix supérieure ou à une autre voix, qui régit l’ensemble.

La question du chiffrage, mentionnée par Cadwallader et Gagné, ne sera pas discutée ici, mais mériterait certainement de faire l’objet d’un article spécifique.

NM

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